Rouge

"Rouge" Ateliers du Bout Du Monde, Lorient,2009
Volumes, 2009, techniques mixtes.

Des sphères posées au sol semblent éclore dans l’espace de l’atelier.
Ouvertes, éventrées pour certaines, recousues et cicatrisées pour d’autres, elles contiennent toutes une vie interne, silencieuse et lumineuse.
Cabossés, inégaux, bosselés ces volumes ne présentent pas une forme lisse et continue au sortir de l’ouverture béante d’une sphère plus grande ; ils fourmillent sur le sol et semblent s’entrechoquer, vivants, portant chacun des caractères, des défauts distincts et des marques personnelles.
Jouant sur des effets de transparence, les différents matériaux utilisés par Solenn Nicolazic (gaze, ouate, papier de soie, galettes de riz, tissus, mohair, fibre de verre…) offrent des visions tour à tour lunaires, végétales, animales et cellulaires. La vie semble animer délicatement ces volumes de papiers graciles. Le spectateur pense assister à une naissance, une éclosion, un bourgeonnement.

Le blanc, exploité dans toutes ses nuances, offre au premier abord un monde de douceur, de délicatesse. Il témoigne surtout d’une préoccupation constante de l’artiste pour la lumière.
Diffuse, ponctuelle, filtrée, cette lumière accompagne chaque volume, créant une atmosphère et une ambiance interne à chaque partie de cette installation. La lumière naturelle est ainsi filtrée par les couches successives de papier créant une protection plus ou moins dense aux rayonnements. Des trous, des piqûres créés délicatement par une aiguille animent la surface, normalement lisse de ces volumes, d’une croûte dentelée ; d’autres sont ouvertes, éventrées à coups de ciseaux et exposent leurs vies intérieures électrisées, animées de cailloux et de fils. Toutes ces blessures laissent passer les différentes lumières, rouge ou blanche, contenues dans les volumes créant une atmosphère chaude de confinement.
Le rouge fait son apparition dans cette installation.
Rouge sang, rouge violent, cette nuance était jusque-là absente du spectre chromatique de l’artiste. Ici, elle prend notamment la forme d’un fil. Ce fil rouge lie entre elles les sphères posées au sol et relie cette installation aux recherches précédentes de Solenn Nicolazic. Il rapièce et cicatrise, il électrise et anime, il recouvre et enduit, protège et agresse. Rouge transparent de la lumière, rouge opaque de tissus encollés, nous ramènent à une vision in utero d’une cellule en devenir.

Après son installation de 2007 où les volumes lévitaient gracilement dans l’espace, Solenn Nicolazic fait revenir ses sphères au sol. Elles rampent. Leurs corps se sont cabossés, abîmés voire brisés en revenant sur terre.
Le végétal, l’insecte, si présents dans ses œuvres précédentes, continuent ici d’être évoqués en filigrane mais ils s’hybrident, se mutent avec le genre humain. L’artiste renoue ainsi avec ses planches entomologiques de bousiers et de scarabées présentant en leurs corps masques et visages anthropomorphiques (Dessins, 2003). Exploités habilement en noir et blanc, ces œuvres graphiques portent déjà les marques d’une recherche de volume : rajouts de pièces de cuir, implantations de fils, trous d’aiguilles. Les contrastes du blanc et du noir montrent également une première recherche dépouillée de la lumière.
Triptyque – 2006 – semble l’aboutissement de ces recherches sur papier. Un bousier sur rhodoïd est animé de fils, sa transparence est encadrée d’un bousier blanc piqueté, transpercé de multiples coups d’aiguilles et d’un troisième bousier vert à la carapace dardée de fils rigides. Transparence, volume, fils, matières sont réunis dans cette œuvre sur papier occupant l’espace à l’image d’un volume dans son installation.
Par la suite le papier se plie, se tord, s’accumule, se recroqueville pour former une masse légère et fébrile qui s’élève (Volumes, 2007) avant de retourner au sol (Volumes, 2009). Le bousier, animal fétiche symbole de fertilité et de renaissance, travailleur infatigable de la terre, sélectionné à la base par l’artiste pour sa carapace arrondie et rebondie a quitté la scène et semble n’avoir laissé que sa coquille vide.

Cette installation, par ses jeux de fils, de liens, ses coutures et ses ouvertures, questionne notre rapport au temps.
Le temps de la fabrication minutieuse en atelier, perçant, rapprochant des feuilles de papiers, étudiant les rapports de transparence, de densité, de solidité, de séchage.
Le temps de la mémoire ; l’artiste se réapproprie un savoir faire ancestral et familial, celui d’une grand-mère rapiéçant des costumes bretons traditionnels, amidonnant des coiffes, protégeant à la fois une technique et une culture.
Le temps organique et vital du développement naturel d’une cellule, d’une plante, d’un insecte. Cette croissance invisible et continue, l’évolution constante d’un organisme porteur de vie avec ses qualités intrinsèques et ses défauts plastiques

Métaphore de la vie ou de l’évolution, de la croissance ou de l’éclosion, l’artiste interrogée ne dévoile rien. Le spectateur doit créer son propre cheminement interne, dérouler son propre fil et tisser son histoire face à cette installation. Cocon, masque, voilant ou dévoilant les profondeurs internes de la chair, carnations cicatrisées ou tissus dentelés, végétal ou animal, cette installation de Solenn Nicolazic touche à de nombreux registres internes enfouis sous des strates de mémoires personnelles ou collectives.

Lucie Cabanes